Erich Engelbrecht né à Bielefeld en Allemagne en 1928, était ingénieur, diplômé en électrotechnique, mécanique et économie au sortir de ses études de l’université de Hanovre en 1954, mais il s’est vu avant tout, comme artiste. En 1960, après avoir travaillé à des projets industriels importants, il a embrassé pleinement sa vocation artistique. Son expérience technique continuera de jouer un rôle non négligeable dans ses œuvres, surtout pour les aspects architecturaux et la fabrication de sculptures monumentales.
Le contexte de l’exposition de l’oeuvre aux Fougis
Erich Engelbrecht , malgré une exposition individuelle montée en 1969 par le Musée d’art moderne de Bielefeld peu de temps après son ouverture (1), s’est tenu hors des grandes modes artistiques. A la fin de sa vie, il est venu recréer et rassembler l’essentiel de son œuvre qui s’étale sur plus de 50 ans, dans une commune rurale française de 330 habitants, à Thionne, au Château des Fougis. Ses grandes sculptures sont conçues selon des principes de fabrication élémentaires en apparence – il s’agit principalement de “tôles” d’acier très épaisses, découpées précisément le long d’une courbe dessinée puis mises debout, mais leur réalisation dans ce contexte constitue néanmoins une gageure.
Dans ces masses d’acier, la surface vide se veut aussi lourde de sens artistique que le plein. Les images ainsi dessinées peuvent mesurer jusqu’à 12 mètres de haut et jouent sur l’ambiguïté des symboles cachés, à la frontière de l’abstraction.
Sans quitter le monde évanescent des mythes et des contes de fées auquel leur titre fait souvent référence, en marge de leur apparence ludique, ces œuvres abordent aussi le traumatisme psychique plus grave pour l’artiste, d’avoir encore dû participer comme très jeune adolescent soldat à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et d’avoir vécu la “psychose destructrice” du nazisme.
L’inspiration de l’oeuvre
Au-delà de l’aspect graphique abstrait, on retrouve beaucoup l’influence de la philosophie jungienne et de la philosophie orientale taoïste dans tout l’oeuvre exposé au château des Fougis. C’est donc une coïncidence bienvenue que les études de la philosophie taoïste ou jungienne, chacune autrefois bien développées en France, reviennent sur le devant de la scène aujourd’hui après une assez longue période d’absence.
Thématique des contes et sagas
Erich Engelbrecht représente donc ce que le philosophe Carl Jung a le premier, tenté de décrire comme étant des “archétypes de la pensée humaine”. Ces archétypes qui ont souvent été reproduits de manière similaire dans les contes de fées et récits mythologiques (le lion pour le courage, le taureau pour la force, etc.), fournissent depuis toujours le prétexte aux œuvres artistiques.
C’est l’universalité du langage des contes de fées, des mythes et des archétypes de la pensée humaine qui font aussi le sujet des sculptures de Engelbrecht. L’artiste semble avoir transposé ses mécanismes, dans son propre langage articulé de signes graphiques, à la limite de l’abstraction et de la poésie. Les divers personnages, animaux ou objets se mêlent et s’imbriquent ainsi – ensemble, au sein d’une même sculpture. Le sens global ne se révèle donc pas entièrement au premier coup d’œil. Le public est invité plutôt à décoder progressivement l’allégorie grâce à une observation prolongée de l’œuvre. L’intégration de thèmes fantastiques et de contes de fées rend cette démarche accessible à tous les âges.
L’influence taoïste et l’ouverture d’esprit
Le taoïsme chinois aura beaucoup affecté les pensées d’Erich Engelbrecht, lecteur assidu du livre des “transformations” ( le Yi Jing ou “5e pillier littéraire” de la culture chinoise classique). Il y a eu accès sans doute par le biais des écrits de Carl Jung également. Jung s’était lié d’amitié avec Richard Wilhelm, le célèbre traducteur du Yi-Jing dans sa version allemande la plus populaire et avait œuvré principalement au succès de la publication. Les écrits de Jung sur la psychologie du développement personnel ont été du reste passablement influencés par l’approche moderne de cette traduction « taoïste » de Wilhelm, en particulier le concept de synchronicité et le développement de soi (2) – encore plus que par la culture hindoue.
Erich Engelbrecht a intégré des dimensions taoïstes dans son œuvre artistique comme il leur donnait une importance réelle dans son quotidien. Ainsi, le visiteur de l’exposition pourra utiliser ces idées comme clés d’interprétation des œuvres rassemblées aux Fougis, et au-delà peut-être même, ressentira-t-il l’inspiration du livre des “transformations”, concernant cette difficile faculté de l’ouverture d’esprit, dont il est déjà question depuis des millénaires.
Pédagogie
Témoigner de l’originalité particulière de cette approche créative peut être un atout artistique et culturel concret pour la réflexion des jeunes gens de tous horizons, dès la période de leur scolarité même. Des projets pédagogiques avec l’administration départementale ont été menés en ce sens aux Fougis sous la direction de Didier Lutz, dès 2013 .
Christine Engelbrecht
(1) son catalogue est repris à la bibliothèque de la Washington National Gallery https://library.nga.gov/discovery/fulldisplay?docid=alma99236853504896&context=L&vid=01NGA_INST:NGA
(2) Coward, H. (1996). Taoïsme et Jung : Synchronicité et Soi. Philosophie Est et Ouest, 46(4), 477-495. doi:10.2307/1399493